Les stratégies de lutte contre l’antibiorésistance à travers l’Europe

Le 20/06/2012 à 11:18 par La Rédaction

La consommation d’antibiotiques en élevages a été largement discutée lors des dernières Rencontres Internationales de Production Porcine (RIPP), avec à la table des débats des vétérinaires de France, Pays-Bas et Danemark. La question cruciale de l’utilisation de l’oxyde de zinc fut également l’objet de nombreux échanges. Tour d’horizon.

 L’antibiorésistance est devenue un problème de santé publique qui concerne aujourd’hui les hôpitaux. Même si la gravité de la situation n’incombe pas uniquement aux filières animales, celles-ci prennent conscience de l’urgence des mesures à prendre et s’impliquent en conséquence dans la recherche de solutions pour maintenir une production à la fois intensive et de qualité. (…)

Si les filières des productions animales se sont déjà engagées sur la voie d’un usage réduit des antibiotiques à travers l’Europe, la réalité varie d’un pays à l’autre. Les RIPP avaient invité des docteurs vétérinaires danois et néerlandais pour présenter les mesures prises dans leurs pays respectifs. De récents résultats d’une étude comparant la consommation européenne d’antibiotiques ont révélé que les Pays-Bas, faibles utilisateurs d’antibiotiques en médecine humaine, sont en revanche le pays le plus gros consommateur en médecine vétérinaire.

Le ministère de l’agriculture néerlandais a mis en place un programme visant à réduire de 50 % en 5 ans (par rapport à 2009) la consommation d’antibiotiques en élevage. Même si ces objectifs sont « non fondés scientifiquement », ils sont néanmoins plus qu’atteints puisque le pays enregistrait en juillet 2011 une baisse de 32 %. « Les mesures prises qui ont failli remettre en cause l’association prescription/délivrance ont abouti à une interdiction des traitements préventifs et systématiques », commente le docteur Peter Van Rengen. De fait, la filière volaille a renoncé à l’aliment médicamenteux dès 2010 et la filière porcine en novembre 2011.

« Carton jaune » au Danemark

Le Danemark encadre quant à lui depuis 2011 les prescriptions de médicaments par un système de « carton jaune » qui vise les gros consommateurs ou les gros prescripteurs d’antibiotiques (voir aussi RAA 652, p. 30), avec pour objectif une baisse de 10 % des usages d’ici 2013. En cas de dépassement d’un des trois plafonds fixés par la réglementation, l’administration émet un carton jaune qu’elle notifie officiellement à l’éleveur, lequel doit s’acquitter de frais autour de 1 000 € et mettre en œuvre des mesures correctrices en concertation avec son vétérinaire.

Le Danemark encadre par ailleurs depuis plus de 40 ans la conduite sanitaire de la cochette par le système SPF (pour Specific Pathogen Free), orienté vers la gestion précise de 18 maladies infectieuses. Basé sur un ensemble de mesures et de règles d’hygiène strictes, ce système d’inspiration américaine concerne aujourd’hui 73 % des porcelets sevrés au Danemark et met en place un contrôle sanitaire s’appuyant sur la surveillance clinique, des autopsies et des sérologies. « Cette sorte de label officiel permet à chacun de connaître la situation des différentes maladies à l’échelle du pays et de protéger les élevages à haut statut sanitaire (SPF rouge), note le docteur Poul Jensen. Ce système est probablement une des raisons qui explique la relativement basse consommation d’antibiotiques au Danemark. »

Le Dr Isabelle Corregé, de l’Ifip, a elle aussi insisté sur ces questions déterminantes de suivi sanitaire et préconise une biosécurité renforcée contrôlant toutes les voies de passage de contamination : « Un bon niveau sanitaire est le garant de bons résultats techniques et donc économiques, mais influence également le niveau d’utilisation des antibiotiques. » (…)

Pas égaux face à E. coli

Si le Danemark peut se targuer d’une consommation d’antibiotiques relativement basse, c’est aussi grâce à l’utilisation autorisée et quasi systématique de l’oxyde de zinc pour les porcelets en post-sevrage. Les pays ayant interdit les AFC depuis plus de 10 ans (en 1995 pour le Danemark et dès 1986 pour la Suède) utilisent en effet l'oxyde de zinc à visée antibactérienne, notamment pour limiter l'incidence des diarrhées de post-sevrage chez le porcelet. Ainsi au Danemark, « l’oxyde de zinc est utilisé dans quasiment tous les aliments 1er âge, précise le Dr Claus Heisel, qui ajoute qu’il n’existe pas de problème d’E. coli au Danemark et que le pays a nettement réduit sa consommation d’antibiotiques. « 65 % des antibiotiques sont utilisés en post-sevrage, lorsque le zinc est retiré de façon progressive de l’aliment. Les éleveurs utilisent alors des traitements à base d’oxytétracyline, de doxycycline, de tylosine ou de tiamuline, notamment pour les problèmes de diarrhées grises à Lawsonia. »

Cette question de l’utilisation de l’oxyde de zinc et l’impact sur l’utilisation d’antibiotiques « donnent à réfléchir à nos autorités », intervient Philippe Le Coz sur ce thème. « On n’agit pas à armes égales avec ces autres pays qui utilisent l’oxyde de zinc. »

Posant de gros problèmes environnementaux qui ne sont pas encore totalement mesurés, l’oxyde de zinc reste néanmoins menacé d’interdiction, même au Danemark. Le fait qu’il permette de réduire l’utilisation d’antibiotiques est à prendre en compte, mais « d’autres solutions nutritionnelles sont à envisager » insistent les techniciens français, qui rappellent parmi le public que dans certaines coopératives 6 aliments sur 10 sont des aliments blancs et que les sources de protéines, l’équilibre nutritionnel…, sont autant de leviers d’action envisageables sur la consommation d’antibiotiques : « Les alternatives existent », tranche l’un d’entre eux.

Acteur de son destin

En France l’Anses travaille actuellement à étudier les impacts, en particulier environnementaux, liés à l’utilisation de l’oxyde de zinc, a rappelé le docteur Régine Chapon lors d’un atelier organisé en fin de journée et consacré à la gestion des colibacilloses. « Une réflexion est également en cours sur la digestibilité des matières premières telles que le plasma, les farines de poisson ou les fibres. Mais lutter contre les colibacilloses passe aussi parfois par des solutions simples comme traiter l’eau (avec des tuyauteries propres) ou acidifier l’eau de boisson. »

Cela fait d’ailleurs partie des stratégies alimentaires largement répandues aux Pays-Bas, où la qualité de l’eau est primordiale, ce qui explique l’usage fréquent d’acides dans le système de circulation de l’eau, notamment après un usage de médicament, a souligné le docteur Peter Van Rengen lors du même atelier sur les colibacilloses. « On ne met pas de médicament dans l’aliment aux Pays-Bas, seulement dans l’eau. » L’usage du plasma, très répandu, est quant à lui largement discuté chez nos voisins néerlandais.

Les grandes tendances sont à la réduction des usages des antibiotiques, et avec elles se mettent en place des outils technologiques et réglementaires. L’essentiel est « de suivre notre destin tout en étant acteurs », notait Jean-Yves Madec, de l’Anses, en conclusion d’une table ronde.

 Sarah Le Blé

Retrouvez l'intégralité de l'article dans la RAA 656 - mai 2012