Le CO2, monnaie d'une économie agricole nouvelle ?

Le 20/03/2013 à 16:48 par La Rédaction

Pierre Weill, président de Valorex et fondateur de l’association Bleu-Blanc-Cœur, présentait à la presse, le 12 février dernier, la monnaie CO2, nouveau dispositif de paiement destiné à engager une nouvelle économie du carbone en élevage.

Pierre Weill, président de Valorex et fondateur de l'association Bleu-Blanc-Coeur
Pierre Weill, président de Valorex et fondateur de l'association Bleu-Blanc-Coeur

La France, en ratifiant le protocole de Kyoto, s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effets de serre (CO2, méthane et protoxyde d’azote principalement). Ainsi en 2010, la somme des émissions de gaz à effets de serre en France était inférieure de 6 % à la somme des émissions en 1990 (valeur de référence de 564 millions de tonnes équivalent CO2).

Concernant l’élevage, la diminution des émissions de méthane entérique était, il y a 30 ans, un objectif avant tout zootechnique : le méthane émis est d’abord un « gaspillage énergétique » pour l’éleveur. Aujourd’hui, la prise en compte de l’accélération du réchauffement climatique en fait un objectif sociétal important.

Méthodologie et expertise

Dans le rumen, la digestion microbienne des glucides de la ration produit à la fois des acides gras volatils et des gaz (hydrogène et gaz carbonique). Ces acides gras serviront dans la mamelle de matériaux de base pour la fabrication de graisses saturées du lait tandis que l’hydrogène sera capté par les microbes « méthanogènes » pour fabriquer et émettre du méthane à partir du gaz carbonique (CO2) et de l‘hydrogène (H2).

Il y a donc un lien étroit entre la composition du lait en acides gras et les émissions de méthane puisque ces deux synthèses sont biochimiquement liées. Moins il y a de graisses saturées dans le lait et moins il y a d’émissions de méthane par litre de lait. De ce fait, la mesure du méthane en routine devient de plus en plus indispensable pour connaître et faciliter les pratiques agricoles vertueuses en élevage ; pratiques qui depuis l’origine, consiste pour Valorex à sortir du trinôme, mais-blé-soja pour inciter les éleveurs à préférer l’herbe, la luzerne, le lin (riches en oméga-3). Cette réduction des émissions de méthane pouvant atteindre 20 % en valeur optimum (économie, qualité du lait, santé animale), Valorex a mis au point une méthodologie brevetée (2008) avec l’Inra appelée Visiolait (voir encadré La méthode Visiolait).

Les analyses mensuelles Visiolait réalisées pour les élevages laitiers (3 000 éleveurs sur 72 000 en France utilisent cette méthode) mesurent ainsi le volume de méthane produit par litre de lait. Pour passer de la mesure du méthane en gramme/litre à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut connaître le nombre de vaches, la quantité de lait par vache, et les valeurs d’un troupeau de référence selon les données de l’Inra, du Cniel (Interprofession laitière) et de l’Institut de l’élevage.

De la biochimie à la monnaie

Cette mesure des réductions d’émissions de CO2 des troupeaux laitiers - relayée par l’association Bleu-Blanc-Cœur - permettra aux éleveurs à compter du 2 avril prochain de disposer d’un « crédit carbone » validé et garanti par les Nations Unies et donc « monétarisable ». Comme une réserve Or, la monnaie CO2 doit provenir d’un fonds garanti, accordé par l’État français. Pour ce faire, l’État français soustrait de son inventaire national une somme de CO2 que les Nations Unies ont reconnue non-émise à Bleu-Blanc-Cœur. Le fonds « Compte officiel de CO2 » est ainsi créé.

Pour 2012 (sur 10 mois seulement, période de démarrage), les quantités auditées par les Nations Unies auprès de Bleu-Blanc-Cœur ont été de 9 592 tonnes. Après prélèvement de 10 % par l’État français, ce sont 8 635 tonnes qui ont été attribuées au nouveau « Compte officiel CO2 » de Bleu-Blanc-Cœur. Dès lors, tel un organisme de gestion de tickets restaurant, Bleu-Blanc-Cœur peut proposer aux éleveurs d’utiliser cette quantité de CO2 comme moyen de paiement. Ces éleveurs ouvrent un « Compte épargne CO2 »personnel sur lequel Bleu Blanc-Cœur dépose la quantité individuelle de CO2 qui leur correspond.

La valorisation de la tonne de CO2 par Bleu-Blanc-Cœur sera de 100 €/tonne de CO2, alors que sur le marché mondial, la valorisation se situe aujourd’hui entre 1 et 10 €.

Ainsi, chaque éleveur pourra utiliser la monnaie CO2 dont il dispose sur son « Compte épargne CO2 », lors d’achats de produits ou de services pour les besoins de l’exploitation ou du ménage. Via ce compte, Bleu-Blanc-Cœur organise alors des offres de fournisseurs partenaires auprès de qui les éleveurs pourront acheter avec la monnaie CO2, des produits ou des services « vertueux » sur un catalogue préétabli (disponible). À ce jour, 500 éleveurs, militants convaincus, sont inscrits au projet de l’association Bleu-Blanc-Cœur. (voir encadré Compte épargne CO2 de Bleu-Blanc-Cœur, une inscription sous conditions)

Cette offre a vocation à agir comme un « accélérateur » de l’économie du carbone :

- Les agriculteurs sont incités à réduire leurs émissions pour « gagner » le plus possible de monnaie CO2 et acheter moins cher des produits ou des services ;

- Les fournisseurs et les distributeurs agricoles sont incités à multiplier leurs offres pour répondre à cette nouvelle demande d’achats ;

- Les consommateurs sont incités à soutenir cette démarche.

Valorex, qui a financé la recherche-développement en début de projet, est certes dirigée par un homme de conviction, mais le projet d’entreprise « une nouvelle nutrition animale au carrefour de la biodiversité végétale et de la nutrition humaine » trouve ses limites dans les surcoûts des graines tracées préconisées (700 euros la tonne de lin !) face aux tourteaux et autres produits mondialisés. En incitant vertueusement, l’entreprise espère développer un nouveau marché sur lequel elle escompte bien prendre une part significative justifiant des retours sur investissement… Quant à Bleu-Blanc-Cœur qui met à disposition son réseau de 400 adhérents, le lien entre « santé de la terre, santé des animaux et santé des hommes » devrait prendre tout son sens autour de la monnaie CO2 voulue comme une monnaie d’échange pour tous les acteurs de la chaîne alimentaire.

Marion Le Béchec

Retrouvez l'intégralité de l'article dans la RAA 664 - mars 2013