Le Zoopôle de Saint-Brieuc Ploufragan accueillait, lundi 6 et mardi 7 mai, quatre représentants de la division vietnamienne du groupe Charoen Pokphand (CP), en voyage d’affaires en Bretagne. L’occasion pour la revue noire de présenter un poids lourd de l’industrie de la nutrition animale, leader d’un marché asiatique en pleine mutation.

Depuis la création de sa première usine de fabrication d’aliments pour animaux en 1959 en Thaïlande, l’entreprise a développé ses activités jusqu'à devenir une multinationale présente dans la plupart des pays d’Asie du Sud-est (Chine, Indonésie, Malaisie, Corée, Cambodge, Laos, Bangladesh, etc.). Une implantation qui s’étend désormais sur d’autres continents, avec des usines de productions présentes en Russie, en Turquie et même dans certains pays d’Afrique. Le groupe, à l’origine spécialisé dans l’industrie agroalimentaire, s’est diversifié et ses activités vont des télécommunications, aux motocyclettes. CP group se présente aujourd’hui comme « le plus grand producteur mondial d’aliments pour animaux », devant l’Américain Cargill et le Chinois New Hope Group. Au Vietnam, CP se positionne en tête des industriels de la nutrition animale, avec une production annuelle qui avoisine les 2,5 millions de tonnes.
Grand consommateur de viande en devenir
L’Asie du sud-est est sans doute la région du monde la moins impactée par la crise financière mondiale. Parmi les pays les moins dynamiques du monde il y a trente ans, l’économie du Vietnam s’est développée au travers de grandes politiques de réformes lancées dès 1986. La situation politique, marquée par l’hégémonie du parti unique communiste, n’a pas empêché le pays de s’ouvrir aux investissements étrangers et d’adopter les mêmes principes de libéralisation de l’économie que son voisin chinois. Le Vietnam affichait en 2011 un taux de croissance du PIB de 5,9 % pour un PIB de 123,6 milliards US$ (deux fois plus élevé qu’en 2006). Des résultats qui ont pour conséquence un net recul de la pauvreté et « une augmentation importante du pouvoir d’achat des ménages vietnamiens, qui sont incités à consommer d’avantage de viande » note Suwes Wangrungarun, vice-président de CP Food Business.
Le dernier rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et de la FAO (Food and agriculture organization) relatif aux perspectives agricoles 2012-2021, fait état d’une consommation de viande en 2012 légèrement inférieure à 40 kg par tête au Vietnam. « Un chiffre qui devrait atteindre les 45 kg à l’horizon 2020. » La consommation de viande au Vietnam se caractérise par une forte préférence pour la viande de porc, avec une consommation en 2012 de près de 24 kg par personne. « Le porc, très présent dans le régime alimentaire des Asiatiques, représente plus de la moitié de viande consommée dans notre pays, souligne Trinh Quang Thanh, administrateur Olmix en Asie Pacifique. Une particularité qui s’explique par des raisons historiques, climatiques et culturelles. »
Le Vietnam subit par ailleurs une forte progression démographique. En 2011, la population atteint 87,84 millions de personnes, pour un taux de croissance de la population situé aux alentours de 1,05 %, malgré la mise en place de politiques de réduction de la natalité (pour comparaison, celui de la France, pourtant parmi les plus élevé d’Europe, n’est que de 0,5 %). La population du pays est « jeune et dynamique » observe le vice-président de CP Food Business, qui constate que la nouvelle génération modifie ses habitudes de consommation, au bénéfice des produits transformés et des produits issus de l’industrie agroalimentaire. Si la cuisine traditionnelle à base de riz domine toujours, une part croissante de la population se tourne vers les préparations culinaires proposées par les industriels. La forte densité de population, qui tend à rassembler un maximum d’habitants autour de grands centres urbains participe au développement du commerce de grande surface. « Les jeunes exigent des produits de qualité et se tournent de plus en plus vers les marques industrielles, qui garantissent une qualité constante des produits », ajoute le représentant de CP.
Demande encore supérieure à l’offre

Cette demande soutenue de produits issus des élevages d’animaux de rente a pour conséquence logique une sollicitation importante des fabricants d’aliments. La transition d’un modèle d’agriculture vivrière, vers un modèle d’agriculture industriel s’accompagne d’une hausse constante des tonnages livrés par CP au Vietnam. « Il n’est pas possible à l’heure actuelle de répondre intégralement à la demande des éleveurs », note Suwes Wangrungarun, c’est la raison pour laquelle CP envisage l’ouverture de 2 usines supplémentaires. « La première sera construire à Hai Duong, au nord du pays, pour une capacité de production d’environ 720 000 tonnes par an la seconde s’établira au centre du Vietnam dans la province de Binh Dinh, pour une capacité de production de 360 000 tonnes par an. Ce sont des unités aux capacités de production moins élevée que nos anciennes usines, mais réparties de manière plus homogène sur le territoire, afin d’affirmer une présence sur l’ensemble des zones d’élevages ». Une stratégie qui permet également à l’entreprise vietnamienne de réduire les coûts liés aux transports et d’afficher une empreinte carbone plus raisonnable.
Avec 8 usines de fabrication, CP se positionne en tête des fabricants d’aliments vietnamiens. « Nous représentons à nous seul environ 20 % des volumes produits », assure CP Vietnam. « Notre capacité de production devrait côtoyer les 3,5 millions de tonnes par an lorsque nos projets actuels se concrétiseront. » La tendance à l’augmentation des capacités de fabrication des groupes industriels ne concerne pas que Charoen Pokphand. Les principaux acteurs de la nutrition animale au Vietnam − New Hope, Cargill, Proconco et Japfa − ont annoncé la mise en place de nouvelles unités de production. New Hope compte désormais 5 unités de production, tandis que Cargill inaugurait en 2012 sa 9e usine d’aliments, d’une capacité annuelle de production d’environ 240 000 tonnes. L’association vietnamienne de la nutrition animale, VAFA (Vietnam animal feed association, qui rassemble les entreprises internationales sises aux Vietnam, mais également une partie des producteurs locaux), estime que le marché de l’aliment attendra 18 à 20 millions de tonnes en 2015, et plus de 25 millions de tonnes d’ici 2020.
Un marché qui reste fragile
Le marché vietnamien, qui présente un dynamisme incontestable, n’est cependant pas exempt de tous défauts. Les représentants vietnamiens reconnaissent volontiers que l’approvisionnement en matières premières est une source d’inquiétude pour le groupe CP. Ils estiment à 60 % la part de matières premières qui doit être importée, parmi lesquels « la quasi-intégralité des sources de protéines ». De son côté, la VAFA chiffre à 40 % la part de maïs importé pour la composition d’aliments. « Ce taux atteint même les 80 % pour le soja, que nous importons principalement d’Inde et d’Argentine » déplore le vice-président. Une situation qui rend le tissu industriel vietnamien dépendant des cours des matières premières et fait peser le risque d’une volatilité extrême des prix de vente aux éleveurs.