Ports français : chacun joue ses cartes

Le 20/04/2015 à 9:52 par La Rédaction

Dans un marché en régression, les places portuaires françaises doivent tirer leur épingle du jeu pour capter les flux de matières premières qui feront tourner les usines d’aliments du bétail. Adossées à des complexes agro-industriels ou non, elles développent des stratégies pour se placer dans les circuits d’importation. Sète, Brest, Lorient, Nantes/Saint-Nazaire ont chacune des cartes à jouer : tour d’horizon.

Le port de Sète se prépare à accueillir, le 29 mai 2015, la 18e Bourse aux grains de Cobesud, le Comité d’organisation de la Bourse d’échanges du Grand Sud. « Cette manifestation qui rassemble plus de 600 professionnels de la filière, situe Sète comme un référent sur le bassin méditerranéen », se réjouit Arnaud Rieutort, le directeur commercial. Le port de la région Languedoc-Roussillon annonce un trafic global de vrac agroalimentaire, lié à l’alimentation animale, de 680 000 t en entrée pour 2014. Auxquelles il faut rajouter 63 000 t de céréales et 160 000 t d’oléagineux à l’export. « La baisse des exportations de céréales est importante avec - 46 %, commente le directeur. Mais c’est une situation purement conjoncturelle. » L’activité totale du port s’élève à 3,3 millions de t de marchandises, soit un recul de 3,6 % : « Nous avons dû faire face à des soucis techniques sur l’outil de déchargement des produits pétroliers, ce qui nous a valu de perdre plusieurs dizaines de milliers de tonnes. »

Des partenariats structurants

Deux grues Eurocrane d’une capacité de 20 t ont été réceptionnées à Sète au printemps 2014. (Copyright Port de Sète)
Deux grues Eurocrane d’une capacité de 20 t ont été réceptionnées à Sète au printemps 2014. (Copyright Port de Sète)

Le port de Sète peut compter sur un puissant partenaire industriel pour asseoir son activité : l’usine de trituration de Saipol-Sofiprotéol qui transforme de la graine de colza et de tournesol. Sa filiale Diester Industrie vient d’annoncer le rapatriement sur les quais sétois d’une partie des volumes de son unité de biodiesel de Coudekerque près de Dunkerque. Cette annonce arrive alors que la France vient d’autoriser l’augmentation du taux d’incorporation de biocarburant dans le gazole à hauteur de 8 % en volume. Il y a quelques mois, la filière Diester avait été fortement impactée par une proposition de la Commission européenne qui visait à limiter l’utilisation de ces biocarburants produits à partir de denrées alimentaires à 5 %, contre 10 % prévus dans les projets d’origine. Saipol prévoit de construire à Sète une 2e unité d’estérification ce qui devrait se traduire pour le port par une augmentation des volumes de graines importées et d’huiles et tourteaux exportés. En outre, cette unité devrait être équipée d’une chaudière biomasse « qui sera alimentée par des coques de tournesol importées de Bassens en partie par voie ferroviaire et maritime », précise Arnaud Rieutort. Il souligne le positionnement stratégique de Sète pour cette filière de par sa proximité des sources d’approvisionnement des graines de Mer Noire, à 2 jours et demi de mer, et des marchés d’exportation pour l’huile et les tourteaux vers l’ensemble du bassin méditerranéen.

L’autre trafic structurant pour le port de Sète est l’importation de tourteaux par le GIE Qualimat Sud-Est dont l’activité est croissante. Ces flux représentent 255 000 t de soja et 56 000 t de tourteau de tournesol hi-pro en provenance d’Ukraine. Sur ce flux qui connaît une belle croissance, Sète est bien placée et reçoit des bateaux dont les volumes sont actuellement de 2 500 à 5 000 t « mais, demain, avec les futures possibilités nautiques du port, nous pourrons recevoir des cargaisons plus importantes ».

« Notre volonté est clairement d’accompagner la filière agroalimentaire qui représente environ un tiers de notre activité, soutient Arnaud Rieutort. Et pour cela le port s’en donne les moyens. » Il a obtenu l’agrément Point d’entrée désigné qui lui permet notamment de recevoir tous les produits à coques sujets à risque d’aflatoxines et ochratoxines. Au cours des dernières années, l’établissement public régional Port Sud de France a investi 8 millions d’euros dans 2 grues Eurocrane au terminal vraquier, finalisé la remise à niveau des bandes transporteuses, enrobé 8 000 m2 de terre-plein pour le stockage à plat en bordure de quai et revu le fonctionnement du by-pass : « L’offre portuaire en vrac agro est aujourd’hui totalement finalisée et efficace. » Des consultations ont été lancées afin de dédier de nouveaux espaces au stockage de vrac solides : 4 espaces de 12 000 à 20 000 m2 connectés aux bandes transporteuses devraient ainsi être rapidement rendus opérationnels pour les tourteaux.

Parallèlement, les travaux de modernisation du canal du Rhône à Sète se poursuivent sous l’égide de la Région. Ils ont pour objectifs la sécurisation de la navigation sur le canal et l’amélioration du transport fluvial de marchandises entre le couloir rhodanien et la Méditerranée. Le port de Sète en voit déjà les bienfaits : « Ces travaux associés aux investissements sur le port apportent indéniablement plus de fluidité : il y a moins d’attente et donc plus de barges. Les bateaux trouvent plus facilement des flux de retour ce qui améliore la rentabilité et l’attractivité du canal aux yeux des bateliers. Cette hausse de fréquentation améliore la disponibilité des barges. C’est un cercle vertueux. » Les travaux se poursuivent dans le but de permettre la navigation de barges de 2 200 à 2 500 t (contre 1 500 t) à l’horizon 2018.

Enfin, les travaux de construction du quai H en eau profonde (14,5 m) ont commencé en septembre 2014. Prévu pour accueillir 2 postes à quai, il sera livré début 2016. L’appel à manifestation d’intérêt a été lancé pour y exploiter un terminal à conteneurs et marchandises diverses.

La six millionième tonne pour Qualimat Sud-Est

Vincent Bergeret, le secrétaire général du GIE Qualimat Sud-Est, confirme la bonne santé de la filière : « Nous avons importé 255 000 t en 2014 soit une augmentation de 18 % par rapport à 2013. La croissance est clairement portée par le tournesol hi-pro et marquée également sur le soja standard. Le volume de PCR est stable : 165 000 t pour le soja standard, d’origine Brésil, 34 000 t pour le PCR, essentiellement d’Inde et 56 000 t de tournesol hi-pro en provenance de la Mer Noire. »

« C’est une très belle année pour notre structure, souligne François-Christian Cholat, le président du GIE Qualimat Sud-Est. Nos 25 adhérents ont pleinement conscience que la diversification de leur flux d’approvisionnement est une stratégie gagnante. Sète s’inscrit très logiquement dans cette alternative qui doit permettre à nos marchés de demeurer compétitifs. Aujourd’hui l’effet réseau fonctionne et tout le monde a compris l’intérêt et l’enjeu du GIE. Le nombre d’adhérent est stable, la croissance s’est uniquement jouée sur les volumes. » Après Bunge, Cargill et Dreyfus, Solteam a récemment rejoint le GIE avec une offre en soja tracé. « L’origine Inde présente la difficulté de chargements parfois aléatoires des bateaux, reconnaît François-Christian Cholat. Ce sont des problèmes non maîtrisables par les importateurs mais nous n’avons eu aucune rupture d’approvisionnement. Nos importateurs ont toujours pu assurer leurs engagements. »

Déchargement du tourteau de soja au port fluvial de Chalon-sur-Saône. (Copyright Port Chalon-sur-Saône)
Déchargement du tourteau de soja au port fluvial de Chalon-sur-Saône. (Copyright Port Chalon-sur-Saône)

Sur ces 255 000 t de tourteaux débarquées à Sète, 30 000 t sont montées par voie fluviale vers Chalon-sur-Saône. « Ce flux était de 19 000 t l’an passé, rappelle Vincent Bergeret. C’est clairement le flux qui a le plus progressé sur le port fluvial de Chalon. » Si les infrastructures, 3 600 t de stockage en 4 cases de 450 t chacune et 2 de 900 t, pour 3 produits différents, ont pu absorber l’augmentation de ces flux, cela a mobilisé une grande partie du temps de travail du secrétaire du GIE qui a dû jongler pour gérer le chargement des péniches et échelonner les arrivées sur place et les enlèvements. « Nous travaillons en très bonne intelligence entre adhérents et importateurs en tenant compte de la disponibilité des péniches, des équipements de Sète, notamment du by-pass qui a été pleinement opérationnel, des besoins de nos adhérents. Nous partageons le même intérêt : que notre activité perdure, que notre bassin de production demeure compétitif avec des spécificités locales. » « Et 30 000 t de fret fluvial, c’est 1 000 camions en moins sur la route », fait remarquer le président.

Si l’année 2014 a été marquée pour le GIE par le voyage des adhérents en Inde (lire RAA 678), qui a permis de resserrer les liens entre les entreprises et montrer aux importateurs l’importance de la région d’élevage et du port de Sète dans le paysage portuaire français, le GIE prépare sa prochaine AG qui sera l’occasion de récompenser l’adhérent qui vient de charger la 6 millionième tonne de l’histoire du GIE. « Nous sommes toujours à l’écoute des besoins de nos adhérents et des matières premières dont ils ont besoin, conclut François-Christian Cholat. Chaque fabricant utilise une trentaine de matières premières dans ses usines, certaines peuvent être difficilement disponibles… ça vaut toujours la peine de réfléchir à des alternatives. »

Plus 15 % et un nouveau dynamisme pour Lorient

En Bretagne, c’est le port de Lorient qui tire le mieux son épingle du jeu sur le front des importations de vrac agro. Ce flux représente 919 258 t (contre 799 000 t en 2013), soit une hausse de 15,1 % par rapport à 2013. Il représente près de 40 % du trafic global qui se stabilise, lui, pour la première fois depuis la crise de 2008 avec 2,372 millions de tonnes en 2014.

L’augmentation du flux de vrac agro est portée par le tourteau de soja qui passe de 414 000 t à 538 000 t. Les tourteaux de tournesol progressent également fortement : 120 000 à 193 000 t. Seule la mélasse a subi une légère baisse en 2014 passant de 48 000 t à 39 000 t, ainsi que les drèches, matières premières d’opportunité, de 105 000 t à 33 000 t.

Les vastes silos dont dispose le port de Lorient pourraient trouver de nouvelles affectations. (Copyright Port de Lorient)
Les vastes silos dont dispose le port de Lorient pourraient trouver de nouvelles affectations. (Copyright Port de Lorient)

« Cette relative bonne performance, dans un contexte globalement peu favorable, est le fruit de nos efforts de réorganisation et de notre volonté de retrouver de la performance », indique Sébastien Rault, le nouveau directeur du port morbihannais. L’année 2014 aura en effet été marquée par la signature en novembre d’une Charte de redynamisation entre les différents acteurs du port et la région propriétaire. Après quelques événements sociaux en début d’année dernière, le port s’est engagé dans cette procédure « afin de remettre la performance au sein de nos discussions afin de relancer la compétitivité et la fiabilité de notre port et travailler sur notre image ». Cette charte vise à réorganiser le travail et garantir une bonne cohérence entre les acteurs : « Travailler sur les mêmes créneaux horaires, avoir des stratégies communes, établir un plan d’action commerciale en accord avec toutes les parties pour travailler vers les mêmes objectifs de développement », énumère Sébastien Rault. Ce travail se poursuit en 2015 dans le but d’optimiser encore les cadences de déchargement. « Le port est bien équipé, nous sommes capables de recevoir des panamax pleine charge quelles que soient les conditions de marée, ce qui donne des opportunités à nos importateurs de travailler des navires plus gros. Notre performance passe désormais par de l’organisation : nous remettons à plat nos fonctionnements, grâce à des réunions avec les manutentionnaires, avant et après l’arrivée des navires, au cours desquelles sont établis des plannings de déchargement et une méthodologie de travail. Puis nous faisons le bilan des opérations à travers des indicateurs de performances. Nous avons également initié une commission vrac agroalimentaire pour réunir encore plus largement l’ensemble des acteurs, pour comprendre les besoins des fabricants et leurs évolutions afin de leur proposer un outil portuaire qui réponde à leurs attentes. »

Encadré sur la façade atlantique par Brest au nord et Nantes/Saint-Nazaire au sud, deux places portuaires disposant d’infrastructures agro-industrielles sur leurs quais, le port de Lorient mise sur une croissance qui passe par l’agrandissement de son hinterland : « À la frontière de notre zone de chalandise, il existe une zone sensible aux coûts de parité de transport. Pour être compétitif sur cette frange, nous devions améliorer notre performance portuaire, avec des traitements de navires plus efficaces et rapides pour abaisser les coûts de déchargement et absorber les coûts de transports. » Livrer plus loin dans des coûts acceptables pour les réceptionnaires peut aussi passer par une diversification de l’activité du port afin de proposer des synergies de transport permettant une meilleure compétitivité des flux. « Le port dispose d’un silo sur le quai d’une capacité de 10 000 t dont une partie pourrait être optimisée pour de l’exportation, imagine le directeur. Lorient possède une variété d’outil qui peut trouver différentes conditions d’utilisation pour améliorer la compétitivité globale du port. »

Après avoir créé un nouveau poste de directeur commercial et recruté Vincent Tonnerre, Lorient entend bien continuer à « jouer la carte de la proximité, apporter des solutions innovantes et compétitives aux opérateurs de Bretagne Sud pour leur permettre d’être eux-mêmes compétitifs sur leurs marchés ».

(...)

Françoise Foucher

Retrouvez l'intégralité de l'article dans la RAA 685 avril 2015