Monogastriques : Relocalisation des protéines pour l'alimentation animale

Le 08/01/2024 à 8:58 par Ermeline Mouraud

La fondation Earthworm a organisé un webinaire consacré à la relocalisation de la production de protéines à destination de l'alimentation des monogastriques. Metex Animal Nutrition et Novial y ont pris part afin de présenter des solutions disponibles et actions concrètes déjà mises en place.

La fondation Earthworm, organisation internationale à but non lucratif forte de 280 salariés sur les cinq continents, agit pour améliorer la durabilité des chaînes d'approvisionnement des matières premières à risques environnementaux et/ou sociaux. « Nous travaillons pour cela avec l'ensemble des maillons, de l'agriculteur au distributeur en passant par les coopératives et les industriels, avec pour but de régénérer les sols, les forêts et les personnes », indique Marie Kessler, chargée de mission protéines et sols vivants. Elle a récemment animé un webinaire consacré à la relocalisation de la production de protéines à destination de l'alimentation des monogastriques. Avec pour objectif de « montrer des solutions et projets concrets pour améliorer l'autonomie protéique des exploitations et territoires ».

Dans un premier temps, elle a rappelé les enjeux liés à la relocalisation des protéines pour l'alimentation animale. Cette dernière constitue « un poste d'émission de gaz à effet de serre particulièrement important pour les monogastriques : 68 % en volaille, 44 % en porc. Il y a deux raisons à cela : l'utilisation des engrais azotés de synthèse, qui ont un coût environnemental particulièrement élevé et le recours à de la protéine majoritairement importée, qui peut être liée à de la déforestation ou conversion d'écosystèmes. » Marie Kessler appuie : « en termes d'impact carbone, un soja déforestant importé du Brésil est quatre fois plus impactant qu'une légumineuse produite localement ». Elle ajoute que, « malgré les travaux engagés sur la traçabilité du soja, les enjeux liés à la déforestation et la conversion sont encore aujourd'hui bien présents. En Amazonie, presque 15 % du biome est utilisé pour l'agriculture et l'élevage. Au Cerrado, ça représente 45 % et près de 10 % de ces surfaces servent à cultiver du soja pour l'alimentation des animaux d'élevage. »

Marie Kessler, chargée de mission protéines et sols vivants au sein d’Earthworm, a animé le webinaire. © Earthworm Foundation

En France, l'autonomie en matières riches en protéines est à plus de 54 %, tous élevages confondus. « Mais si on regarde juste le tourteau de soja, on tombe à seulement 10 %. Le secteur avicole représente 43 % du tourteau de soja utilisé en France », souligne Marie Kessler. Elle explique : « face à un soja compétitif et prêt à l'emploi, la France s'est rendue dépendante aux importations. Il y a une vingtaine d'années, la production française de légumineuses s'est complètement effondrée et on se heurte maintenant à une perte de savoir-faire. Or, on sait que les légumineuses sont particulièrement intéressantes pour réduire l'empreinte carbone. À titre d'exemple, lorsqu'on insère un pois protéagineux dans un système grande culture, on peut baisser jusqu'à 15 % des émissions nettes de gaz à effet dans une rotation type colza-blé-orge. »

Pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone à 2050 et de souveraineté protéique, le gouvernement français s'est fixé comme objectif, dans le cadre du Plan protéines, d'atteindre 8 % de la surface agricole utile à 2030 en cultures riches en protéines. « C'est à dire doubler les surfaces actuelles. » Pour le moment, « l'offre est dispersée, les volumes sont trop faibles pour répondre aux besoins des fabricants d'aliments et les prix peu rémunérateurs pour les agriculteurs ». Earthworm estime qu'« il y a une vraie nécessité à travailler avec l'ensemble des maillons de la chaîne d'approvisionnement ». Pour la fondation, outre les leviers techniques, « il faut aussi actionner des leviers organisationnels, recréer du lien entre les productions animales et végétales, en travaillant de l'amont à l'aval via des nouveaux modèles de coordination, puisque l'intérêt est d'améliorer l'autonomie protéique à l'échelle du territoire et pas uniquement à l'échelle de l'exploitation ».

Acides aminés

Les acides aminés sont les constituants des protéines. Ils sont essentiels pour la croissance et l'immunité. Certains peuvent être fabriqués par l'animal lui-même. Les autres sont appelés acides aminés essentiels et doivent nécessairement être apportés par l'alimentation, notamment le soja et le blé. « Le recours aux acides aminés afin de baisser la teneur en protéine globale des aliments est une technique qui est bien connue en agriculture depuis les années 90 », indique Nicolas Martin, directeur du développement durable chez Metex Animal Nutrition. La société produit des acides aminés par fermentation dans son usine à Amiens.

« Ce qui est peut-être moins connu, c'est que la filière a vécu un certain nombre d'années en utilisant un nombre relativement restreint d'acides aminés. Ce nombre a été multiplié par deux ces dernières années : il y a beaucoup plus d'acides aminés disponibles, donc il est possible maintenant d'aller bien plus loin dans la réduction de la teneur en protéine des aliments. » En volaille, « à chaque fois qu'on retire un point de protéine, on a besoin de 36 kg de soja en moins par tonne d'aliments », souligne Nicolas Martin. Il précise que l'intérêt de la supplémentation en acides aminés est aussi « de pouvoir les utiliser un par un, donc de doser plus efficacement et de mieux équilibrer les rations. On s'assure d'apporter les nutriments essentiels, pour la croissance et la performance zootechnique des animaux. »

Metex Animal Nutrition travaille depuis quelques années avec la fondation Earthworm. « C’est une approche qu’on trouve extrêmement positive, en termes de facilitation de partenariat, de mise en relation, dans une logique vraiment constructive, avec la capacité d’avancer sans préjugés », se félicite Nicolas Martin, directeur du développement durable. © Metex Animal Nutrition

Quid du coût ? « Le curseur va dépendre du contexte, des prix relatifs des matières premières qu'on vient remplacer et de l'ambition qu'on se donne en matière de réduction du soja. Mais il est possible de réduire significativement le soja sans entrer dans des surcoûts extrêmement forts. » Pour être capable de mettre en place cette solution, de la financer et de la valoriser, Nicolas Martin conseille de s'appuyer sur les bénéfices en matière de durabilité. « Nous avons mené des travaux sur l'analyse de cycle de vie, afin de mesurer tous les impacts jusqu'au kilo de poids vif de l'animal qui quitte la ferme. » L'empreinte carbone peut varier de manière assez significative en fonction de la nature des ingrédients et de leur origine. En moyenne, en porc et en volaille, pour des acides aminés produits en Europe : « à chaque fois qu'on baisse d'un point la teneur en protéine, on réduit l'empreinte carbone de près de 150 kg par tonne de poids vif. On parle là d'un potentiel de 15 à 20 %, qui va même aller en augmentant au fur et à mesure. Comme c'est constant, la part relative du carbone qu'on retire est de plus en plus importante. »

Pour Nicolas Martin, « la mise en place de ces solutions doit s'accompagner d'une collaboration forte de l'ensemble des maillons de la chaîne de production, avec une répartition juste des surcoûts éventuels. C'est le sens du travail fait en commun avec Earthworm depuis déjà plusieurs années. Rendre le bénéfice visible nous paraît intéressant pour les décideurs qui se trouvent souvent plus en aval. Nous portons une approche "business ring" : au lieu d'une chaîne linéaire, on circularise pour pouvoir mettre en place des choses qui fonctionnent. »

Groupe de travail Innovation protéines

Marie Kessler donne pour exemple le groupe de travail Innovation protéines, créé en 2021 sous l'impulsion de Lidl. Son objectif premier était de réduire de 50 % le soja importé dans les rations de quatre filières animales : la poule pondeuse, la volaille de chair, le porc et la vache laitière. « Cela a permis d'éviter plus de 1 000 tonnes de soja importé (majoritairement du Brésil) dans les rations. » Le groupe de travail a mobilisé cinq entreprises pilotes et 50 élevages qui ont testé de nouvelles formules d'aliments. Les produits finis ont été distribués dans plus de 900 supermarchés Lidl, sous un packaging spécifique mentionnant la diminution de soja importé dans l'alimentation et la lutte contre la déforestation. Earthworm s'est positionné comme coordinateur pour travailler avec l'ensemble des maillons de la filière : fabricants d'aliments, éleveurs, coopératives, distributeurs. Terres Inovia et la chambre d'agriculture des Hauts-deFrance ont également apporté leur appui au projet.

Les essais qui ont été menés dans le cadre de ce groupe de travail, notamment avec des pois protéagineux et des acides aminés, étaient principalement focalisés sur la partie zootechnique, « pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'impact négatif sur les animaux avec ces changements de ration ». Résultat : « on a dépassé les attentes en termes de réduction de soja dans les rations avec, par exemple, pour le porc, une suppression du soja en phase d'engraissement ». Engagé dans ce groupe de travail, le fabricant d'aliments Novial a mené des essais en poules pondeuses chez un éleveur partenaire. « Aujourd'hui, nous sommes capables d'obtenir les mêmes performances de production, que ce soit en pourcentage de production d'oeufs ou en masse d'oeufs produite. Les poules sont en bonne santé, il n'y a pas plus de mortalité : tout nous permet de dire que c'est possible de travailler dans le sens de la relocalisation des sources de protéines, de la baisse du taux de protéines dans les formules et de l'utilisation de nouvelles matières premières », indique Jean Loup Sterin, directeur commercial chez Novial.

Jean-Loup Sterin, directeur commercial chez Novial. © Gilles Hardy

Sur les formules « entrée en ponte », riches en protéines, le fabricant a baissé globalement de 50 % le taux de soja d'import, augmenté la consommation de protéagineux locaux de 3 %, pour une réduction de 10 % de l'impact carbone. Sur les formules pic de ponte et fin de ponte, le soja d'import a été totalement supprimé, au profit de protéagineux locaux. Jean Loup Sterin soulève cependant un bémol : « on remplace des matières premières d'un profil grossier, appétant, par des matières premières en poudre ou liquide très fines qui peuvent poser quelques problèmes de présentation en volaille. Plus on va travailler bas en protéine et plus, potentiellement, on va utiliser des acides aminés, plus on aura la présentation d'une mouture très fine, donc potentiellement des risques de baisse de consommation en volaille. »

Autre point de vigilance, « dans un contexte où l'économie reste primordiale, il y a un léger surcoût à l'utilisation des acides aminés. Il peut être compensé par une baisse de protéines, effectivement, mais attention à voir quel est l'équilibre ou la finalité de tout cela. » Jean Loup Sterin cite également le sourcing et la disponibilité des matières premières régionales comme limite pour un passage à grande échelle. Il ajoute : « comment peut-on, s'il y a un surcoût, valoriser cette démarche jusqu'au bout de de la chaîne ? Et quelle est l'acceptation ou l'attente du consommateur par rapport à cela ? »

Earthworm souligne le besoin d'« une réflexion systémique » et « la nécessité d'accompagner dans la durée ce changement, de l'amont à l'aval », notamment par le développement de différents modèles de financement. Pour assurer la compétitivité des filières, l'organisation appelle aussi à innover. « Comme dans beaucoup de domaines, relocaliser coûte plus cher que d'importer, mais il s'agit de notre alimentation et du futur de la planète. Chacun a une responsabilité. »