Initiative Aquafeed : Limiter l'impact écologique et social des ingrédients aquacoles

Le 10/06/2024 à 8:58 par Ermeline Mouraud

Lancée en 2021 par l'ONG Earthworm Foundation, l'Initiative Aquafeed regroupe, à l'échelle nationale, une dizaine d'acteurs de la distribution et de l'industrie agroalimentaire, engagés pour contribuer collectivement à la responsabilisation et la durabilité de l'alimentation des poissons d'élevage entrant dans leurs chaînes d'approvisionnement.

L'Initiative Aquafeed, née en 2021 et consacrée à la durabilité de l'alimentation aquacole, a pour ambition de « faire basculer le marché français vers une aquaculture utilisant une alimentation plus responsable ». Elle regroupe, autour de l'organisation internationale à but non lucratif Earthworm Foundation des entreprises de distribution (Carrefour, Groupe Casino (dont Franprix et Monoprix), E. Leclerc, Lidl, Metro, Mousquetaires (dont Intermarché et Netto), U Enseigne Coopérative) et l'industriel Meralliance ­ Groupe Thai Union. Réunies au sein d'un groupe de travail pré-concurrentiels, elles veillent à la responsabilisation de l'alimentation des poissons d'élevage entrant dans leurs chaînes d'approvisionnement. En commençant par le saumon, espèce carnivore dont l'alimentation est riche en farines et huile de poisson.

Aujourd'hui, la production d'aliments aquacoles « nécessite d'extraire de l'océan plus de poissons sauvages qu'elle ne permet de produire de poissons d'élevage », soulève Clara Gitto, chargée de projet senior Programme aquaculture et soja au sein d'Earthworm Foundation. « Pour le saumon produit en Norvège, il faut par exemple pêcher deux kilos de poissons fourrages (petits poissons du type anchois, lançons, merlans, maquereaux, harengs, sardines...) pour fabriquer l'huile de poisson nécessaire à produire un kilo de saumon d'élevage. Ces ratios sont plus élevés en Écosse, pays de production du saumon Label Rouge, car ce cahier des charges impose une alimentation à haute teneur en farine et huile de poisson. »

Sachant que l'aquaculture est aujourd'hui « le moteur de la production de produits de la mer » et dans un contexte d'augmentation à l'échelle mondiale, « accentuer l'exploitation des stocks de poissons sauvages pour répondre à la demande grandissante en alimentation aquacole n'est pas soutenable. Plus de 90 % des stocks de poissons sont déjà exploités à leur niveau maximal ou surexploités. La farine et l'huile de poissons fourrages sont des ressources limitées et la production ne pourra pas augmenter sans mettre en péril la santé de nos océans. »

Trois axes

Conscient de ces enjeux, les membres de l'Initiative Aquafeed veulent limiter l'impact écologique et social des ingrédients aquacoles, en agissant principalement sur trois axes, qui seront dans un premier temps déployés sur le secteur du saumon à l'horizon 2030 : améliorer la durabilité des pêcheries minotières (favoriser l'utilisation de farines et d'huile de poisson issues de pêcheries certifiées en limitant certaines origines, notamment l'Afrique de l'Ouest, où une compétition directe avec la pêche vivrière est présente) ; assurer un soja non issu de la déforestation ou de la conversion d'écosystèmes ; réduire la dépendance aux pêcheries minotières.

L'objectif principal de ce dernier axe est d'atteindre un FFDRm1 et FFDRZ1, c'est-à-dire d'utiliser moins d'un kilo- gramme de poissons fourrages pour la fabrication de farine et d'huile de poisson nécessaires pour produire un kilogramme de poissons d'élevage. Pour ce faire, plusieurs moyens sont mis en avant, comme favoriser l'utilisation de coproduits de poissons. Clara Gitto précise que « beaucoup de coproduits de l'industrie de la pêche sont utilisés pour fabriquer des farines et huile de poisson à la place de poissons fourrages, mais les volumes de coproduits disponibles sont limités et insuffisants ».

Autres moyens : étudier l'utilisation de protéines animales transformées non issues de ruminants en aquaculture et favoriser l'utilisation de nouveaux ingrédients contenant les bons nutriments (tels que l'huile d'algue, la farine d'insectes...) accompagnés d'une diligence raisonnée permettant de s'assurer que l'alternative n'ait pas d'impact environnemental ou social négatif. « Dans le cadre du saumon, le défi est de continuer à diminuer l'utilisation de l'huile de poisson, tout en assurant la teneur de l'alimentation en EPA et DHA, des oméga-3 bénéfiques pour la santé du poisson. Or, il existe assez peu de substituts à l'huile de poisson qui contiennent ces acides gras spécifiques car ils ne se retrouvent naturellement que dans des ressources marines. »

Aujourd'hui, seule l'huile de microalgues est utilisée comme substitut riche en EPA et DHA pour l'alimentation du saumon à destination du marché européen. « Malheureusement, les volumes disponibles sont largement insuffisants pour répondre au besoin », pointe Clara Gitto, ajoutant qu'à date, « les distributeurs français n'autorisent pas l'utilisation des autres solutions mises en avant par les producteurs, bien qu'autorisées par la règlementation, telles que l'huile de colza génétiquement modifiée riche en DHA, l'huile de saumon (qui ne contient pas d'ADN, donc ne présente aucun danger sanitaire), ou les protéines animales transformées issues des sous-produits de l'élevage de volaille et de porc, car ils craignent une perception négative du consommateur français ».

Marco Custódio, chargé de partenariat pour Earthworm Foundation et Clara Gitto, chargée de projet senior Programme aquaculture et soja. © Earthworm Foundation

Actions passées et à venir

En 2021, le groupe a réalisé un état des lieux sur l'élevage de saumon en Norvège, Écosse et au Chili, sur la base des éleveurs approvisionnant les membres du groupe de travail. L'enquête s'est axée sur les matières premières utilisées dans l'alimentation aquacole et sur le bien-être animal. Les objectifs collectifs ont été fixés en 2022. La définition de ces objectifs a été réalisée en consultation avec les acteurs de la filière, notamment les producteurs de saumon et fabricants d'aliments, pour s'assurer de leur faisabilité et des thématiques sur lesquelles renforcer la recherche.

En 2023, une cartographie des approvisionnements en saumon des membres de l'Initiative a été réalisée. Des données ont été collectées auprès des éleveurs de saumon afin de calculer des indicateurs de référence. Des études de diligence raisonnée sur les divers « nouveaux ingrédients » ont été réalisées, de même que des recherches plus approfondies sur les alternatives à l'huile de poisson riches en oméga-3. En parallèle, des échanges réguliers ont lieu avec des ONG menant des initiatives similaires dans d'autres pays (tel que le WWF UK), de façon à faire converger les différents marchés sur des demandes communes en termes de durabilité, de façon à unifier le message envers les producteurs.

Le plan d'action 2024 se concentre sur l'adoption par le marché français des nouveaux ingrédients alternatifs aux huiles et aux farines de poisson dans l'alimentation du saumon. « Pour cela nous aidons les distributeurs membres de l'Initiative à développer leurs connaissances sur les diverses alternatives, notamment à travers l'élaboration de fiches techniques explicitant et comparant les impacts environnementaux, sociaux, économiques des nouveaux ingrédients. Parallèlement, nous allons entamer une enquête sur la perception et l'acceptabilité des consommateurs français sur ces mêmes ingrédients. » Cette étude consommateur, menée sur un échantillon représentatif de la population française, permettra aux partenaires d'« avoir des clés pour prendre des décisions éclairées sur l'adoption de ces nouveaux ingrédients et d'adapter les stratégies en fonction des attentes du marché. Nous travaillons aussi sur la création de nouvelles filières saumon plus responsables, nourries avec un aliment moins dépendant en ressources marines et répondant aux objectifs collectifs que nous nous sommes fixés, en collaboration avec l'industrie. »

Si l'Initiative se concentre pour l'instant sur le saumon, les objectifs collectifs seront adaptés par la suite à d'autres espèces comme la truite, le bar, la dorade et la crevette. « La truite est la prochaine espèce sur laquelle nous travaillerons », indique Clara Gitto. L'Initiative est ouverte à tout type d'entreprise (distributeurs, transformateurs, éleveurs ou fabricants d'aliments) alignés avec ses valeurs, sous condition de partage des objectifs. « Collectivement, nous avons plus de poids et une demande unifiée, ce qui facilite à faire remonter ces exigences de durabilité le long de la chaîne d'approvisionnement, jusqu'aux producteurs. Notre rôle est de reconnecter les acteurs de l'amont et de l'aval des chaînes d'approvisionnement, réconcilier les attentes des distributeurs avec la réalité des producteurs et mettre en place des projets innovants et transformatifs à impacts positifs sur un plan environnemental et social. Nous assurons un dialogue entre toutes les parties prenantes, dans une démarche de coconstruction, pour embarquer toute la filière vers plus de durabilité. »

 

Approvisionnement responsable : Auchan, BioMar et Earthworm Foundation s’associent

L’enseigne de grande distribution française Auchan, le fabricant d’aliments aquacoles BioMar, l’éleveur de crevettes équatorien Edpacif et l’ONG Earthworm Foundation ont uni leurs forces pour développer et commercialiser une nouvelle référence de crevettes issues d’une aquaculture responsable*. « Nous avons décidé de vendre des barquettes avec uniquement les queues de crevettes. Cette innovation a deux bénéfices : l’empreinte carbone associée au transport des produits est réduite de 40 % et les têtes de crevettes sont transformées et réutilisées localement en Équateur pour l’alimentation animale, augmentant ainsi la circularité de la production », explique Olivier Vandebeulque, responsable du bureau d’achat marée à Auchan.

De plus, aucun des ingrédients utilisés dans l’alimentation de ces crevettes provient de zones déforestées ou même tropicales. « Les aliments pour crevettes peuvent contenir jusqu’à 50 % de soja », rappelle Henrik Aarestrup, vice-président de BioMar. Le fabricant d’aliments, présent dans plus de 80 pays, a mis au point une recette à base de microalgues en remplacement de l’huile de poisson. « 100 % des protéines marines proviennent de coproduits de haute qualité. » BioMar a apporté son expertise technique au projet : « nous avons utilisé notre outil d’évaluation d’impact (BioSustain LCA) pour minimiser l’empreinte carbone de l’alimentation des crevettes, grâce à une optimisation méticuleuse de la recette ». Le projet a également vu les équipes RSE de BioMar présenter des recommandations sur la manière de réduire l’empreinte carbone du processus d’élevage.

L’aliment BioMar en préparation pour être distribué dans le bassin chez le producteur Edpacif. ©Earthworm Foundation

« Une crevette responsable doit également garantir de bonnes pratiques sociales, explique Florie Loth, responsable Océan chez Earthworm. En Équateur, nos activités liées à la crevette se concentrent sur des initiatives de renforcement des capacités pour favoriser le changement social. » Outre le fait que le projet ait contribué à améliorer l’accès à un emploi stable pour la communauté locale, les équipes d’Earthworm ont également travaillé avec Edpacif pour améliorer les conditions de travail et offrir de meilleurs logements aux salariés. Pour Marcelo Velez, président d’Edpacif S.A., « cette initiative nous permet de renforcer nos engagements RSE et d’améliorer nos pratiques, tout en proposant un produit éthique de la plus haute qualité ».

La nouvelle référence est disponible dans tous les hyper-marchés Auchan en France métropolitaine. Il porte égale-ment le label Mr.Goodfish, qui vise à sensibiliser le public à la consommation durable des produits de la mer. Dans le cadre du projet, Mr.Goodfish et Earthworm ont travaillé en partenariat pour ajouter un pilier social au cahier des charges de la crevette équatorienne. « Nous sommes très fiers de ce projet, qui place la barre plus haut pour les produits crevettes, a déclaré Florie Loth. Notre but, à terme, est d’engager d’autres acteurs pour permettre le passage à l’échelle vers des pratiques aquacoles durables, des pratiques qui contribuent à la préservation de la biodiversité et à la protection des droits de l’Homme. »

* La collaboration avec Auchan et BioMar ne s’inscrit pas dans le cadre de l’initiative Aquafeed ; il s’agit d’un projet direct avec BioMar, avec qui Earthworm Foundation travaille depuis quelques années.