Conférence de l’Ifip : Décarbonation de l'alimentation

Le 05/12/2022 à 10:46 par La rédaction

Lors du Space, l'Ifip a organisé quatre matinées de conférences sur la thématique de la décarbonation à chaque maillon de la filière. Retour sur la matinée du 15 septembre, consacrée aux origines de l'impact carbone des aliments et la décarbonation au maillon alimentation animale.

La filière porcine a un impact carbone sur l’environnement qui est non négligeable : un kilogramme de porc au portail de la ferme émet 2,73 kg éq. CO2 avec 54 % d’émissions directes et 46 % d’émissions indirectes. L’alimentation représente la majeure partie des émissions indirectes et explique 42 % des émissions GES d’un kg de porc. L’impact carbone de l’alimentation est calculé sur « la fabrication de l’aliment en tant que tel, la fabrication des matières premières (blé, tournesol, colza, coproduits, acides aminés), la production des intrants nécessaires à la production de ces matières premières (engrais minéraux, fuel, produits phytosanitaires, tracteurs construits et utilisés pour les opérations au champ, etc.) », explique Sandrine Espagnol, ingénieure d’étude et experte en bilans environnementaux des élevages porcins à l’Ifip, lors de la matinée de conférence organisée le 15 septembre au Space.

Pour réaliser ce bilan carbone, différents gaz à effet de serres sont comptabilisés : le protoxyde d’azote (N2O) direct qui provient du champ et le NO2 indirect, l’ammoniac (NH3) qui va se convertir en NO2 et considéré avec un facteur de conversion et le dioxyde de carbone (CO2) lié aux opérations de transports et aux consommations d’énergie. « L’impact de la tonne d’aliment revient à sommer ces émissions de gaz à effet de serre. Pour les ramener à l’unité commune de kg équivalent CO2, nous utilisons des pouvoirs de réchauffement globaux : facteur 298 pour le N2O et un facteur d’un pour le CO2. Nous obtenons des kg éq. CO2 que l’on divise par des tonnes d’aliments. »

Pour un élevage moyen français

Dans un élevage moyen français, l'aliment d'engraissement représente le plus gros tonnage alimentaire de l'élevage (66 %). L'impact d'une tonne d'aliment engraissement moyen est de 349 kg éq. CO2/t (données Agribalyse). Sachant que cet aliment a été considéré à 70 % acheté et 30 % fabriqué à la ferme pour représenter les pratiques moyennes françaises, selon les données Agribalyse, « avec pour composition (sur la période 2005-2009) : trois quarts de céréales, des tourteaux largement représentés et des acides aminés et minéraux représentés également », précise Sandrine Espagnol.

Le transport (matières premières vers l’usine ou l’usine vers l’élevage) et la fabrication de l’aliment, avec le broyage des matières premières et la granulation représentent un impact mineur sur l’impact carbone : moins de 10 % de l’impact de l’aliment. C’est la production des matières premières au champ qui engendre l’impact carbone le plus important. Les impacts sont variés en fonction des matières premières : le pois a le plus faible impact et les acides aminés et les tourteaux de soja brésiliens ont un impact plus fort. Les proportions et la formulation de la ration jouent un rôle dans l’impact carbone : les acides aminés ont une incorporation très faible donc ils n’engendrent finalement pas ce fort impact dans l’alimentation.

Pour la culture du maïs, c’est la fertilisation qui émet le plus de gaz à effets de serre ainsi que la dénitrification des sols, pour celle du soja c’est le changement d’affectation des champs : « une forêt est convertie en terre cultivée ». « Dans des projets, nous cherchons à réduire l’impact de l’aliment : le remplacement du tourteau de soja brésilien par d’autres sources de protéines entraine une réduction de 11 % », conclut Sandrine Espagnol.

Valorisation des coproduits

« Notre filière valorise les coproduits de meunerie, d’amidonnerie, du secteur laitier, etc. », entame Didier Gaudré, ingénieur d’étude et expert en nutrition porcine à l’Ifip. Selon des estimations, 14 % des utilisations du tourteau de soja sont dédiés au porc en France. Pour certains stades physiologiques, il est possible de se passer de tourteau de soja (stades de croissance, finition et gestante), « nous savons le faire dans la mesure où nous possédons des substituts à prix abordables », mais pour d’autres (allaitante, premier âge et deuxième âge) il n’est pas possible de se passer de tourteau de soja, « il faut que nous travaillions sur ces stades ».

« Les acides aminés dans notre production sont importants. Le tourteau de soja intervient à 10 % de teneur en lysine digestible. La dépendance aux acides aminés de synthèse est à souligner, la production importée est non négligeable. L’apport en acides aminés avec le tryptophane, la valine, l’isoleucine, l’histidine permettent d’ajouter moins de soja. » La teneur en protéines des céréales varie en fonction du rendement, de la fertilisation, de la nature des sols, etc. Les protéagineux sont des matières premières très adaptées pour la production porcine.

Extruder le produit permet d'augmenter sa teneur en protéines : passage de 13,7 g de lysine digestible/kg à 15,4 g/ kg. Les protéines animales transformées (PAT) ne sont pas accessibles pour la production. « Nous n'avons accès qu'aux PAT de volailles qui ne sont pas les plus importantes en termes de volumes. Mais elles ont le même taux de protéines qu'un tourteau de soja donc les PAT de volailles sont intéressantes comme produit », explique Didier Gaudré. Les tourteaux alternatifs à celui de soja (qui possède 45 % de protéines) : le tourteau de colza avec 34 % de protéines, le tourteau de tournesol non décortiqué à 28 %, le tourteau de tournesol décortiqué à 35 % et les insectes qui sont un produit alternatif dont la digestibilité des acides aminés n'est pas connue. L'aspect technologique : « le traitement thermique et la granulation peuvent augmenter la digestibilité des protéines par rapport à un produit sous forme de farine ».

Les actions du secteur pour la décarbonation

20,6 millions de tonnes d’aliments composés ont été produites en 2021 par 304 usines sur le territoire français et près de 210 entreprises ou groupe d’entreprises. La filière porcine représente 24 % de ces aliments composés. Le Snia représente 99 entreprises dont 70 dans la nutrition animale pour une production de 8,4 millions de tonnes d’aliments et la Coopération agricole représente 41 groupes coopératifs pour 9,2 millions de tonnes d’aliments.

« En 2019-2020, le soja en France provenait pour 1,64 million de tonnes du Brésil et 0,35 million de tonnes d’Argentine. Ce sont des pays sujets à la déforestation. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous passer d’importations même si celles du soja sont appelées à se réduire pour limiter cette déforestation », déclare Éloïse Mas, responsable matières premières et durabilité à La Coopération Agricole Nutrition Animale. La Chine est l’importateur de soja le plus important au monde et l’Europe est importatrice de 40 % des flux de tourteaux de soja. La France représente 10 % des importations de graines de soja, elle est une importante consommatrice de tourteaux de soja.

Les fabricants d’aliment ont mis en place plusieurs actions pour limiter l’importation de soja déforestant. Toutes les parties prenantes du projet Duralim se sont engagées en 2018 à n’utiliser que des matières premières durables en 2025, avec pour objectif zéro déforestation. En février 2022, les fabricants d’aliment ont signé un manifeste pour s’engager à utiliser 100 % de soja non déforestant (lire RAA 755). « Pour contrôler cet engagement, Duralim a mis en place un observatoire du risque de déforestation importée. Cet observatoire quantifie et rationnalise le risque de déforestation liée aux flux de soja. Les entreprises quantifient leur part de soja déforestant et non déforestant dans leurs produits de matières premières utilisés. L’objectif est de faire du soja non déforestant un standard d’ici 2025 », rappelle Éloïse Mas. Une étude réalisée en 2020 par Duralim indique que le soja durable dans l’alimentation composé permet de réduire de 14 % les émissions de CO2 sur l’étape de fabrication des aliments composés. L’utilisation de soja non déforestant permettrait de décarboner l’élevage : économie de 75 kg éq. CO2/t d’aliments produites.

Pour ce faire, il faut évaluer l’impact environnemental des aliments du bétail avec une méthodologie de calcul. « Il existe deux bases bien connues, Ecoalim et Agribalyse, pour calculer les impacts environnementaux en France, explique Vincent Héral, chargé de mission responsabilité sociétale des organisations du Snia. Au niveau européen, il y a des développements de méthodologies et une base de données qui commence à être une référence européenne et internationale qui est le GFLI et qui permet de disposer des valeurs de références liées aux matières premières. »

Il existe une multitude de bases de données et d’un fabricant à l’autre, il est possible d’avoir des calculs différents. Le secteur de la nutrition animale s’est engagé, en 2021, à s’inscrire dans un secteur qui soit apporteur de solutions à la transition bas carbone de la filière animale. « Deux volets ont été validés : agir pour améliorer tous les outils disponibles auprès des fabricants d’aliment et parties prenantes pour le calcul de ces impacts environnementaux. C’est-à-dire procéder à une harmonisation et standardisation uniformisées pour le calcul des impacts. Le deuxième volet est l’accompagnement pour la transition d’un soja standard vers un soja non déforestant, plus durable. »

Témoignage d’un fabricant d’aliment

Pour contribuer à la problématique du changement climatique, Nutréa veille au bon choix de ses matières premières, leur origine et leur qualité. Certaines matières premières ont plus ou moins un impact environnemental négatif. « En formulation nous essayons de privilégier des matières premières qui soient les plus vertueuses pour lutter contre le changement climatique, par exemple le sorgho. En formulation nous avons la caractérisation de l'impact carbone sur chaque tonne d'aliment fabriquée », explique Hervé Vasseur, directeur général de Nutréa. La protéine est une des ressources qui a le plus d'impact en terme environnemental. Pour les sources de protéines privilégiées chez Nutréa, « nous essayons de travailler sur des teneurs réduites en protéines. Ensuite nous privilégions les protéines métropolitaines, comme le colza, le tournesol, les drèches, les acides aminés de synthèse. Il y a toujours une part incompressible de tourteau de soja mais nous faisons partie de Duralim pour s'engager à utiliser du soja non déforestant ». Le fabricant d'aliment a créé des programmes alimentaires au plus prêt des besoins de l'animal, « c'est la nutrition de précision. C'est une conduite alimentaire à préconiser. Nous formulons en multiphase progressif. Une autre bonne conduite alimentaire c'est de procéder à l'allotement en élevage pour avoir des lots homogènes et coller aux besoins des animaux lors de l'alimentation ».

Éva Marivain