Avec l’appui de l’Afab (Association des fabricants d’aliments du bétail) et le soutien des collectivités locales et régionales, Laurent Bellec a réalisé un inventaire photographique des usines de production d’aliment du bétail en Bretagne, qui se poursuivra avec les silos de stockage des céréales. Le travail de recensement de ces « monuments » constitutifs du « patrimoine agroalimentaire breton » prend une dimension artistique singulière, visible lors du Space sous forme d’exposition.
Ce n’est pas par hasard qu’on les nomme parfois « cathédrales » ; les usines de fabrication d’aliment du bétail s’érigent en effet selon une architecture très particulière. Et bien qu’imposantes, elles se fondent quasiment dans le paysage au point de devenir invisibles dans l’inconscient collectif, pour différentes raisons – sociales, économiques, culturelles, symboliques. Les photographies noir et blanc, « silencieuses », sans trace humaine… de Laurent Bellec viennent justement interroger le statut de ces bâtiments, délibérément considérés comme constitutifs d’un « patrimoine contemporain à valoriser » : « Ces usines sont cachées (ou mal connues) alors qu’elles sont porteuses d’une histoire forte et d’une ambition pour la région. ».
Le paradoxe s’explique par le conflit de représentation entre la modernité affichée par ces usines et la relation de proximité demandée par le consommateur : « Ces bâtiments sont le témoin d’une période de prospérité mais ils renvoient aussi à une industrie qu’on ne veut pas voir, car on préfère en effet communiquer sur les produits du terroir », analyse Patrick Dieudonné, directeur de l’Institut de Géoarchitecture à l'Université de Bretagne Occidentale, qui intervenait lors d’une table ronde organisée autour de l’exposition à Lanvollon, dans les Côtes d’Armor. « Ces usines font partie de notre quotidien mais gardent une présence fantomatique. Le travail du photographe donne justement une autre perception, il révèle l’édifice comme bâtiment et comme activité », poursuit l'enseignant-chercheur.
« Ce qui vient de nos pères »
Classer ces bâtiments au rang de « patrimoine » ne fait-il pas courir le risque de les confiner dans une époque appartenant au passé ? « Le terme de patrimoine est à prendre au sens fort, c’est-à-dire « ce qui vient de nos pères », précise Denis-Marie Lahellec, chef du service architecture à la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) de Bretagne. Néanmoins ces photographies interrogent bel et bien sur l’avenir des bâtiments car on ne les montre pas dans leur environnement : « Sont-ils voués à une transformation, à une déconstruction ? » interroge Denis-Marie Lahellec. L’objectif du photographe est en effet pointé sur la modernité sans visage de ces ensembles industriels, qui apparaissent hors du temps et hors contexte (...).
Laurent Bellec n’en est pas à son coup d’essai dans l’art de faire ressortir ces « marqueurs fonctionnels » qui font figure de « repères de l’histoire contemporaine » : il a ainsi déjà posé son regard de photographe sur les anciennes stations essence (travail débuté en 2001), les cabines téléphoniques (2002), les transformateurs (2003). Arrivé au terme de l'inventaire des usines, il a démarré depuis peu le recensement des silos en Bretagne, qui constituent le 5e volet de son travail photographique. L’exposition consacrée aux usines d’aliments sera visible lors du carrefour international des matières premières organisé par l’Afab et Feedsim Avenir sur le Space.
Sarah Le Blé
... Retrouvez l'intégralité de l'article dans la RAA 647 - juin 2011