À l'origine spécialisée dans le conseil en nutrition aquacole, la société Halieutica a développé sa propre station expérimentale où son fondateur et dirigeant, Guillaume Le Reste, peut réaliser des essais de digestibilité, du contrôle de croissance et des analyses de comportement alimentaire. Entre une mission en Guinée et un déplacement au Rwanda, il répond à la revue de l'alimentation animale.
La Revue de l'alimentation animale : Comment se porte l'aquaculture au niveau mondial ?
Guillaume Le Reste : On a l'habitude de dire que l'aquaculture est, au sein des productions animales, le secteur qui se porte le mieux en termes de développement, à l'échelle internationale. Parce que c'est une filière qui est relativement jeune quand on la compare aux espèces terrestres, ce qui explique en fait le rattrapage qu'elle est en train d'opérer. Le développement a été très fort en Europe dans les années 1980, mais depuis, l'essentiel de la production se passe en Asie. La Chine, à elle seule, représente sans doute la moitié de la production aquacole mondiale... avec toutes les incertitudes concernant les statistiques mondiales. Les autres poids lourds dans le domaine sont également en Asie : Vietnam et Indonésie.
RAA : Qu'est-ce qui caractérise ce secteur, au-delà de cette prédominance de la Chine qui vaut pour pas mal de productions, agricoles ou non ?
G.LR : Il faut rapidement venir au fait que les productions aquacoles sont extrêmement diverses. L'élevage d'animaux terrestres se focalise sur quelques espèces majeures, une dizaine, quand en aquaculture on parle de plusieurs centaines d'espèces. Au-delà des quelques espèces qui constituent le gros du marché, il y a une foule de petites niches techniques et commerciales. Et quand on parle d'espèces majeures, il faut savoir que les algues rentrent aussi dans l'aquaculture... mais elles ne sont pas consommatrices d'aliments fabriqués pour leur croissance. Elles sortent donc du champ d'intérêt pour les lecteurs de la Revue de l'alimentation animale. Il en va de même pour les coquillages. Il reste donc la catégorie des poissons et crustacés.
RAA : Comment s'organise cette catégorie, quelles sont les espèces majeures ?
G.LR : À très gros traits, sur 100 millions de tonnes d'aquaculture dans le monde, 30 millions sont des algues destinées majoritairement à la consommation humaine, 70 sont des poissons (pour 90 %), mollusques et crustacés. Au sein de ces grandes catégories, l'élevage des crustacés est le plus récent, même si pour de nombreuses espèces, de crustacés comme de poissons, des techniques d'élevage sont encore en cours de développement.
En termes de volumes, les carpes et le tilapia constituent la majorité des poissons élevés dans le monde. Parce que ce sont des animaux qui se reproduisent de façon assez simple en captivité et produisent des œufs sans difficulté. Ensuite les poissons-chats font partie des espèces aquacoles majeures à l'échelle mondiale : beaucoup d'espèces de poissons-chats qui peuvent se prêter de façon très efficace à l'aquaculture. Ce n'est pas forcément très connu du consommateur européen. Les saumons et les truites sont ceux qui arrivent généralement en tête quand on parle d'aquaculture en Europe, mais ils sont une goutte d'eau dans l'univers de l'aquaculture. Et encore plus face aux élevages d'animaux terrestres : le saumon représente à peine 1 % des protéines animales consommées. En revanche toute l'aquaculture mondiale représente à peu près le niveau de production du bœuf à l'échelle mondiale.
Une autre spécificité de ce marché est la cohabitation entre l'espèce sauvage et l'espèce cultivée : de la même manière qu'il y a du saumon d'élevage et du saumon issu de la pêche, il y a des crevettes d'élevage et des crevettes pêchées. Cette cohabitation n'existe plus avec les espèces "terrestres".
RAA : Quelles sont les perspectives de développement dans le mode ?
G.LR : En termes de marchés, ça se développe partout mais surtout en Asie qui a une réelle volonté politique de nourrir sa population, qui peut s'appuyer sur une habitude culturelle forte d'élevage et de consommation et affiche l'ambition d'exporter ses produits aquacoles, qui sont des produits à forte valeur ajoutée, source de devises.
RAA : Comment s'explique le désengagement de l'Europe et de la France dans l'aquaculture ?
G.LR : Au-delà de l'histoire et des habitudes, les conditions climatiques et les conditions de trait de côte expliquent par exemple le développement de l'aquaculture dans certains pays plus que d'autres : par exemple, la Norvège qui a développé le saumon sur sa côte très morcelée où s'abritent les infrastructures d'élevage des tempêtes hivernales. En France, c'est surtout la règlementation de la gestion de l'eau qui rend difficile l'utilisation des ressources hydriques à des fins d'élevage aquacole. La France, comme pour d'autres productions, a fait le choix de délocaliser et sous-traiter sa production aquacole : le déficit commercial de la France en matière de produits de la mer est de l'ordre 6 milliards d'euros en 2022. Il ne concerne toutefois pas que les produits d'élevage car le thon y représente 500 millions d'euros. Ce déficit ne fait qu'augmenter : il était de 4 milliards d'euros en 2015. Le Commissariat au plan vient d'ailleurs d'illustrer ce phénomène en publiant son Indice Sashimi, qui met en évidence la dualité de la population française qui consomme toujours plus de poissons type sashimi : saumon, thon, crevette, daurade. Ils représentent à eux seuls 4 milliards de déficit.
RAA : Sentez-vous une volonté politique, en ce moment, en France, où l'on parle de la souveraineté alimentaire, d'inverser cette tendance ?
G.LR : C'est difficile à dire, mais un exemple est assez parlant : celui de la pisciculture d'étangs. La France est un pays dans lequel, traditionnellement, on a énormément d'étangs, par exemple dans les Dombes. Dans ces étangs construits par la main de l'humain, souvent liés à l'installation de confréries religieuses, on élève des poissons, brochets ou carpes... Or, ce sont des espèces qui n'intéressent plus les consommateurs ! Ils cochent pourtant toutes les cases d'un approvisionnement local. Cette problématique est renforcée par des postures de l'Administration, voire des oppositions menées par des associations environnementalistes. La survie de ces activités est menacée. Il y a un hiatus très fort sur ces questions en France, amplifié par une incohérence entre les déclarations d'intention et les actes de consommation du grand public.